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26 mars 2016

La farfadette amoureuse , d'Elise Catteau

 

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Lauréate du concours  2015, Catégorie Jeunes

 

La farfadette amoureuse

 

Après de longues heures de marche depuis la gare de Dunkerque, j’arrivais enfin à cette petite villa de campagne isolée que j’avais repérée sur la vitrine d’Imm-nord. Dès que je l’aperçus, je sus instantanément que je me plairais ici. Campagnard chevronné attaché à la tranquillité, j’avais face à moi le décor parfait. Le gîte, délaissé par ses anciens propriétaires, sûrement à cause de l’éloignement des villes, retrouverait, grâce à moi, sa splendeur passée. Après une visite intégrale du logement, qui, contrairement aux apparences était en excellent état, j’étais décidé, j’allais élire domicile ici à Téteghem. Je m’empressai d’aller signer mon acquisition en me réjouissant que personne avant moi n’ait remarqué la grâce de cette chaumière.  D’ores et déjà, je m’imaginais me prélassant au soleil sur mon transat. Le bonheur à l’état pur. Mille projets divers et variés envahissaient ma tête et mes rêves.

 

Une fois mon chez-moi acquis, je m’y installai rapidement et commençai à désherber mon jardin. Je voulais profiter dès ce jour des bienfaits du grand air, des petits plaisirs de la nature et de mon nouveau patrimoine. Le soir venu, j’étais fourbu mais heureux.

 

Ce fut cette nuit là que je l’entendis pour la première fois. J’allais m’endormir quand sa plainte déchirante retentit dans l’obscurité. Bien sûr, comme tout un chacun dans de telles circonstances je fus insomniaque un long moment, en proie aux interrogations. Quand enfin je trouvais les bras de Morphée, vers trois heures du matin, des cauchemars horribles peuplèrent ma nuit. J’étais tantôt victime de bêtes sauvages, tantôt pourchassé par des fantômes.

 

Au petit matin, quand je me réveillai, je n’avais qu’une idée en tête : découvrir l’être qui avait poussé ce gémissement larmoyant. Pendant toute la journée, je fouillai la maison de fond en comble pour attraper l’entité qui m’avait valu une nuit d’insomnie. Mais, elle était introuvable. Ce ne fut que le soir, au moment où elle poussa de nouveau son cri que je la vis. Je n’en avais jamais vu auparavant, juste entendu parler. Devant moi se tenait une crieuse de la famille des Hupeurs, lutine légendaire dont la mission dans les temps anciens consistait à crier pour prévenir les hommes de leur  folie meurtrière. Au fil du temps, les lutines de son espèce avaient oublié cette lourde responsabilité et criaient dans la nuit sans aucune raison. Lorsqu’elle m’aperçut, elle s’arrêta net. Je lui demandai aimablement ce qu’elle faisait ici puisque, d’après mes connaissances, ces créatures logeaient habituellement dans les forêts ou prairies. Elle me répondit qu’elle cherchait une âme charitable susceptible de l’accompagner. Mais, hélas, toutes les personnes qui l’avaient vue jusqu’alors s’étaient enfuies. Certaines croyaient être victimes d’une hallucination particulièrement réussie; d’autres, connaissant quelques fables telles que celles des Schrats avaient pris leurs jambes à leurs cous de peur que ces créatures ne les emmènent dans la vase des marais où ils les noieraient.

 

Fort heureusement, ma farfadette n’était pas de ce genre là et je le découvris bien vite. J’appris qu’elle s’appelait Godelieve, ‟aimée de dieu ”. Voilà cinq ans que la petite avait élu domicile dans ce grenier. Si elle criait ainsi c’était pour attirer les hommes, mais elle ne voulait pas les tuer, simplement quémander un peu de courage et de soutien pour son projet fou. Elle ne me le confia pas immédiatement, elle voulait être certaine qu’elle pouvait avoir confiance en moi et que je ne me moquerais pas.

 

Nous vécûmes ainsi sous le même toit pendant quelques jours. Je revins parler avec ma lutine chaque soir. Deux semaines plus tard, elle me révéla enfin ce secret si bien gardé. Elle voulait parler à l’homme à la moustache dont elle était amoureuse. A mille lieues de trouver cette histoire absurde, comme le craignait Godelieve, je  pensais que cette romance valait bien que je lui consacre du temps. Mais ce rêve serait bien difficile à réaliser car, selon les rumeurs qui circulaient au village, l’homme était amoureux d’une jeune fille habitant Steenvoorde. Ma farfadette en était profondément attristée, d’autant que certains affirmaient que les fiançailles étaient proches…

 

Chaque soir dorénavant, elle ne parla plus que du « grand homme » et de « la femme au nattes » sans jamais ne me donner un prénom. Visiblement, elle se rendait chaque jour au village pour connaître les évolutions de la relation et pour parvenir, avec mon aide, à trouver le moment opportun et la façon d’approcher son bien-aimé.

 

Cet instant arriva un mois après que j’eusse rencontré Godelieve. Tout le monde dans la commune, selon la lutine, ne parlait plus que de cette incroyable nouvelle. L’homme au manteau bleu et la dame aux yeux d’opale s’étaient disputés et semblaient bien loin de se pardonner ! Le garçon avait découvert que sa dulcinée était éprise de Jacobus, bel enfant blond, fils du bûcheron Jean de Houthacker. Les deux hommes avaient guerroyé. La désirée avait été profondément déçue par l’attitude de ses prétendants et avait coupé les liens avec chacun d’eux.

 

Si cette histoire était vraie, pour Godelieve le moment idéal semblait arrivé, elle aurait peut-être  une chance de le côtoyer ou même de le séduire ! Nous choisîmes ensemble un plan d’action. La farfadette irait consoler notre homme en plein chagrin d’amour et, quand il serait réconforté, elle utiliserait son talent de séductrice pour qu’il tombe sous son charme. Godelieve irait, dès le lendemain, commencer la première phase de notre stratégie. Cependant elle était bien au fait qu’elle ne devait pas précipiter les évènements et savoir se montrer patiente.

 

Comme dit la veille, je la retrouvai à l’aube. Je l’aidai à se préparer. J’allai jusqu’au village acheter une boîte de vêtements de poupée juste à sa taille, une jolie parure de bijoux, une boîte de maquillage et du vernis à ongles. Nous optâmes pour une petite robe bleue, un ruban blanc noué sur ses hanches, une paire de ballerines assorties et attachâmes ses cheveux bruns par un ruban semblable à celui qui lui servait de ceinture. Je lui passai un collier doré serti d’une pierre bleutée. Je lui mis un peu de baume à lèvres rose et de fard à paupières. A midi, elle était  prête. Elle était magnifique. Si c’était de moi dont elle était mordue, j’aurais été séduit à coup sûr, mais qu’en était-il de ce grand homme en plein désespoir amoureux ?

Conformément à nos plans, la lutine se rendit vers quatorze heures au parc où l’homme au manteau bleu aimait se promener avec son Hélène mais il n’arriva qu’aux alentours de quinze heures.  La jeune fille l’aborda :

«  - Bonjour mon bon Monsieur ! Comment se fait-il que vous soyez seul et si morose ? J’ai plutôt l’habitude de vous voir avec une fort belle jeune femme et débordant de gaieté ! »

Le promeneur lui conta son histoire. Godelieve était au septième ciel ; non seulement son bien-aimé  ne fuyait pas à sa vue mais en plus il lui faisait confiance !

Ils se revirent ainsi tous les jours, parlant de la pluie et du beau temps et tissant peu à peu des liens qui leur permettaient de devenir plus proches l’un de l’autre.

 

Trois mois plus tard, Godelieve se sentait prête à franchir le grand pas.

«  ­-Puis je vous faire une confidence ? »

Il acquiesça.

« -Théodoric, géant de Téteghem, je vous aime. »

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